samedi 9 mars 2013

La transmission du nom

Depuis les trente dernières années, il est devenu très courant de donner aux enfants les noms de famille de leurs deux parents. Mais je perçois un recul de cette pratique de nos jours. Personnellement, ça me désole. Étant profondément antisexiste, j'ai beaucoup de difficultés à comprendre pourquoi il serait si naturel que, dans l'éventualité où j'aurais un enfant, celui-ci porte seulement mon nom et pas celui de celle à qui il doit l'autre moitié de son génotype et de son éducation. Il y a plusieurs raisons invoquées pour justifier l'abandon de cet acquis de la lutte pour l'égalité des sexes. Certains s'y opposent par excès de traditionalisme, d'autres parce qu'ils considèrent cela comme de l'indécision (incapacité de choisir un seul nom), parce qu'ils trouvent ça trop long ou parce qu'ils s'inquiètent de la génération d'après (aura-t-elle quatre noms de famille?).

Personnellement, je ne vois pas cela comme de l'indécision. Choisir de donner les deux noms est un choix au même titre que d'en choisir un seul. La longueur est un meilleur argument mais, à ce moment-là, ce n'est pas la quantité de noms elle-même qui devrait être considérée, mais la longueur de la somme des noms. Par exemple, si je m'appelle Jean-Guy Cyr-Roy, on ne peut pas dire que j'ai vraiment un long nom, même s'il est composé de quatre mots. C'est le nombre de syllabes qui doit être compté pour déterminer la longueur; les traits d'union pouvant être vu comme de simples caractères muets. Donc c'est évident que lorsque les deux parents ont chacun de longs noms de famille, je comprends qu'ils préfèrent ne lui en transmettre qu'un seul. Mais je me dis que, au pire, l'un des deux parents pourrait ne transmettre que la première lettre de son nom, donc l'enfant s'appellerait par exemple «Yann T. Boissonneault» plutôt que «Yann Taschereau-Boissonneault». Sinon, je me dis que si les personnes avaient droit à deux appellations, une longue (qui contiendrait le plus d'informations possible, disons deux noms de famille et un ou deux middlenames) et une courte (pratique et esthétique), ça règlerait ce dilemme?

On s'inquiète aussi parfois pour la génération d'après. Comme si les deux parents avec deux noms de familles chacun allaient donner les quatre noms de familles à leurs rejetons. Absurde. Dans les cultures hispanophones, il est courant depuis longtemps de donner deux noms de familles, et ils ne s'accumulent pas d'une génération à l'autre. Les deux parents ont deux noms mais chacun ne transmet que le nom qu'ils ont reçu de leur père. C'est donc aussi sexiste que de n'avoir qu'un nom. Idéalement, je dirais que les hommes devraient transmettre le nom qu'ils tiennent de leur père et les femmes celui qu'elles tiennent de leur mère. Par contre, cela ne fonctionnerait pas pour certaines familles moins traditionnelles. Un homme ayant été élevé par une mère monoparentale n'aurait pas de nom de père à transmettre. Une femme ayant été élevée par un couple d'hommes utiliserait quel critère pour savoir lequel des deux elle transmettrait? Et combien de noms aurait un enfant élevé en polyparentalité? Mais je pense qu'il serait possible de s'accommoder de ces cas plus rares et de mettre en place un système bilinéaire de transmission du nom.

D'un autre côté, mon amour de la liberté et de la non-intervention de l'État dans les traditions me pousse dans une autre direction. En fait, je me dis que la transmission bilinéaire que j'ai proposée ci-dessus devrait être fortement recommandée mais que, dans les faits, les parents devraient pouvoir nommer leurs enfants comme ils le veulent. J'irais jusqu'à dire qu'ils devraient même pouvoir lui donner un autre nom de famille que le leur, voire un nom inventé. Autrement, c'est comme si l'État forçait les gens à transmettre leur nom contre leur gré. En autant que le gouvernement puisse savoir qui sont les tuteurs légaux d'un enfant, ce dernier n'a pas besoin de porter leurs noms. Même que les individus devraient pouvoir choisir de changer de nom comme ils le veulent et autant de fois qu'ils le veulent au cours de leur vie. Tant qu'ils gardent le même numéro d'assurance-sociale, l'État sait qui ils sont.

Je me dis donc que, ultimement, dans un lointain futur idéal, notre seul «vrai nom» légalement devrait être un matricule alphanumérique. Notre appellation dans la vie courante devrait être laissé totalement libre de ce genre d'ingérences de l'État.

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