samedi 14 septembre 2013

Des sauvages

Je suis allé à un séminaire sur l'éthique animale. L'un des conférenciers nous a parlé du livre Zoopolis, ouvrage qui présente une vision possible de ce qu'aurait l'air une société reconnaissant les droits des animaux. On nous proposait d'accorder le statut de citoyens aux animaux qui vivent parmi nous (je reviendrais sur cette question dans un futur billet) et de traiter les animaux sauvages et leur environnement comme des nations étrangères. Je paraphrase:
Qu'on croit ou non pouvoir mieux gérer la Chine que les Chinois, on n'intervient pas parce qu'on leur reconnaît le droit à la souveraineté. C'est la même chose pour les animaux sauvages. On doit leur accorder la souveraineté donc les autoriser à continuer de vivre comme ils le font dans la nature, même si leurs actions contreviennent à notre éthique.

Je n'étais pas tout à fait d'accord avec ça. En fait j'approuve l'analogie et, dans les deux cas, pour les animaux sauvages comme pour les nations étrangères, je suis d'accord avec ce non-interventionnisme. Mais, je ne le justifie pas de la même façon et ça modifie donc également son application. Si je suis d'accord avec le fait que l'État doit laisser leurs souverainetés aux individus, je ne pense pas nécessairement la même chose de la souveraineté d'entités collectives. En gros, pour moi, la principale ressemblance est que, dans les deux cas, la situation de l'individu n'est peut-être pas des plus confortable, mais elle s'inscrit dans un système qu'une intervention de notre part pourrait briser et, conséquemment, faire empirer.

J'ai déjà dit que je ne suis pas nationaliste. Je ne crois pas qu'un peuple d'humains forment une sorte d'entité ayant des droits propres. Les frontières entre États n'ont pas à interférer dans mes considérations éthiques. Ainsi, n'en déplaise à nos lois sur le travail et le libre-échange, sous-payer un travailleur m'apparaît tout aussi répréhensible qu'il soit Québécois ou Taïwanais. Si un peuple est opprimé par un dictateur abusif, je ne considère pas qu'il s'agit d'une «nation souveraine». La liberté des individus ne devrait pas passer après celle de la fiction qu'est la nation. Bref, lorsqu'on laisse faire ce qui se passe dans les autres pays mais qui contrevient à nos valeurs, ça se justifie si:
  • Une différence culturelle fait en sorte que cette situation qui nous parait désagréable est positive aux yeux des locaux;
  • Nous ne comprenons pas suffisamment tous les facteurs impliqués dans la situation sociopolitique en question pour pouvoir nous prononcer de façon éclairée sur ce qui en serait une issue désirable;
  • Nous n'avons pas le pouvoir d'intervenir sans causer un mal supérieur à celui que l'on voudrait enrayer.

Par exemple, si la seule façon de libérer un pays d'un dictateur est de déclencher une guerre dont la victoire est incertaine et qui causera significativement plus de souffrances que ne l'aurait fait le dictateur en temps de paix, intervenir serait contraire à l'éthique. Mais dans tout autre situation, ne pas intervenir est hypocrite.

Pour les animaux sauvages, si je suis le raisonnement qui m'a amené au végétarisme et ma réflexion sur le fait que l'inaction vaut l'action d'un point de vue éthique, alors je devrais considérer que mon devoir serait d'empêcher les animaux sauvages de se manger les uns les autres, puisque cela cause une souffrance. En plus, puisque les animaux n'ont pas la lucidité, tout comme les enfants, il est nécessaire que des êtres rationnels prennent les décisions pour eux. Voilà... Est-ce vraiment ma conclusion logique? Non. Je pense qu'il convient de tenir compte des facteurs suivants:
  • Contrairement à nous, les animaux prédateurs ne peuvent survivre sans manger de proies et seraient malheureux si l'on frustrait leurs instincts de chasseurs, il s'agit donc d'un égoïsme légitime;
  • Contrairement aux enfants, les animaux, bien que non doués de raison, sont capable d'autonomie, et peuvent donc agir dans leur propre intérêt par eux-mêmes lorsqu'ils sont dans un environnement spécifique, sans avoir à réfléchir;
  • Contrairement aux humains, les prédateurs ne condamnent pas leurs proies à vivre toute leur vie dans un élevage intensif, mais les laissent libres dans leur habitat naturel;
  • Briser l'équilibre d'un écosystème risquerait d'amener davantage de souffrances, pour les prédateurs comme pour leurs proies, que de laisser les choses telles qu'elles sont.

C'est pour ces raisons que je prône de laisser «intouchés» des environnements sauvages dans lesquels les animaux devraient conserver leur «souveraineté» sans qu'on interfère. Toutefois, dans un hypothétique lointain futur technologique où l'humain pourrait pratiquement tout contrôler dans la nature, il sera éthiquement requis d'abolir la prédation. Ce sera comme quelqu'un qui empêche son chat de manger sa perruche, mais à une échelle globale. Cela pourra être accompli en nourrissant les prédateurs avec de la viande de synthèse, en leur donnant des jouets pour qu'ils canalisent leurs instincts de chasseurs, et en réduisant la fécondité des proies pour ne pas qu'elles se reproduisent en surnombre. Mais au niveau technologique où nous sommes maintenant, toute tentative d'intervention de ce genre à cette échelle risque de causer pas mal plus de mal que de bienfaits.

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