dimanche 14 juillet 2013

Charte des valeurs communes

Apparemment que le gouvernement du Québec a encore repoussé l'échéance du début de son projet de créer une «charte des valeurs québécoises» pour encadrer, entre autres, les demandes d'accommodements religieux. Cela m'a donc poussé à me demander quels devraient être les valeurs communes d'un État? Ou, disons, les vertus qui meuvent ses interventions et ses non-interventions? Au Québec, il me semble y avoir un énorme flou à ce niveau. C'est comme si on ne savait pas trop dans quelle direction on allait ni comment s'y rendre.

En ce qui me concerne, je donnerais personnellement à la charte des valeurs communes un mandat plus large que d'être une simple ligne directrice pour réguler les demandes d'accommodements. J'en ferais une sorte de substitut de religion officielle et d'identité commune. Ce pourrait même être le fondement de notre constitution. Être ce devant quoi on plaide allégeance lors d'un procès ou en recevant notre citoyenneté. Elles seraient enseignées dans les écoles primaires lors des cours d'éthique qui remplacent les cours de catéchèse. Bref, elles auraient un rôle analogue à une idéologie religieuse ou nationaliste mais n'en seraient pas une puisqu'elles permettraient l'existence d'une beaucoup plus vaste diversité d'opinions.

Avant d'énumérer les valeurs communes, je commencerais par déclarer en préambule que le bonheur est le souverain bien, au service duquel seront nos valeurs communes. Ainsi, l'on quitterait le paradigme capitaliste pour adopter l'utilitarisme. Tout ne se mesurerait plus en profit mais en amélioration de la qualité de vie. Voici donc ce que je propose comme valeurs communes:

Égalité: Dans ma réflexion sur le concept d'égalité, je souligne que ce mot a plusieurs définitions mais que la seule qui ait du sens est l'égalité de considération des intérêts. C'est-à-dire, le désir pour une société d'abolir la discrimination arbitraire sous toutes ses formes, actuelles ou potentielles. C'est donc au nom de cette valeur que l'on se doit de lutter contre le sexisme, le racisme et l'homophobie. Certaines mesures visant à accroître l'égalité des chances dans la vie d'une personne, comme le fait de fournir aux personnes handicapées des moyens de paliers à leur handicap, ou le fait d'avoir l'école obligatoire gratuite pour tous, découle de notre quête d'égalité.

Liberté: Je définis la liberté comme étant l'absence d'obstacle entre un désir et son assouvissement. Combinée à l'égalité, elle place elle-même ses limites puisque la liberté de l'un devient la limite à celle d'autrui. Si l'on a réellement pour objectif de maximiser la liberté, l'État ne devrait intervenir par coercition dans les activités volontaires d'un individu totalement conscient des conséquences, que lorsqu'elles interfèrent avec les droits d'autrui. Aussi, toute contrainte de la loi devrait toujours faire augmenter le bilan de liberté d'un individu, en imposant une contrainte moindre que ce qu'imposerait l'absence de cette loi. La démocratie est le rejeton de l'égalité et de la liberté, puisque si le peuple est libre et que tous sont égaux, il n'y a pas de classe dirigeante, seulement des élus au service du peuple.

Solidarité: Avoir cette valeur fait en sorte que l'on reconnaît aux individus des droits qui ne dépendent ni de leur participation à la collectivité, ni de leur capacité à prendre ces droits par la force. C'est au nom de ce principe que l'on donne des droits aux chômeurs, aux personnes dites invalides, aux touristes, aux enfants, aux déficients intellectuels et aux animaux. C'est aussi cette valeur qui exige de l'État qu'il se soucie de ce qui se passe ailleurs que sur son territoire. Cela nous oblige à accepter de recevoir comme citoyen autant de personnes que nous le pouvons parmi les demandeurs ayant tout ce qu'il faut pour. Cela force également notre armée à s'investir dans des missions humanitaire à l'étranger, tant qu'elle en a les capacités et que les conséquences sont plus désirables que celles de sa non-intervention.

Relativisme culturel: J'aurais pu prendre la laïcité comme valeur commune, mais je pense que celle-ci est en fait une subdivision du relativisme culturel (qu'on pourrait aussi simplement appeler «ouverture» ou «multiculturalisme»). Celui-ci nous impose de séparer l'État pas seulement de la religion, mais de la tradition. De laisser aux citoyens non seulement la liberté de conscience, mais aussi celle de pratiquer et de perpétuer leur culture, dans la mesure où cela se fait dans le respect des cultures des autres et des autres valeurs communes. Cela veut dire être à l'écoute des demandes d'accommodements et nous impose de ne rien rejeter qui ne contrevienne pas aux valeurs communes. Cette valeur requiert également que l'État prenne des mesures pour préserver sa diversité culturelle et s'y adapter. Le seul «bémol» que j'ajouterais serait qu'il est important d'avoir une langue commune même si, personnellement, je ne vois pas ça comme une attente à ce principe, tant que cela est pensé comme un droit pour le citoyen et non comme un devoir.

Science: J'aurais pu aussi la nommer «connaissance» ou «raison». Dans un premier temps, je pense que l'État devrait reconnaître que la science a été historiquement et est encore aujourd'hui un moteur de progrès qui a permis d'améliorer la qualité de vie des citoyens. Conséquemment, il convient de subventionner la recherche même lorsqu'elle n'a pas d'autre utilité que d'accroître notre compréhension du monde. C'est au nom de la «science» au sens large que l'on se doit d'avoir un système d'éducation publique, pour libérer le peuple de l'ignorance et la superstition, et lui donner un minimum de bagage intellectuel et de connaissances générales, afin que les individus puissent faire leurs choix de vie de façon autonome et éclairée. D'avoir la science comme valeur commune nous permet également de lutter activement contre les formes plus extrêmes d'obscurantisme comme le créationnisme, les pseudomédecines, l'intégrisme religieux et la propagande haineuse.
Art: L'État doit considérer l'art et la vie culturelle comme étant un bien désirable en soi. C'est pourquoi l'on donne des subventions aux artistes, mais aussi que l'on se soucie de la beauté de notre urbanisme et de notre architecture. Que l'on s'assure d'avoir en place des médias permettant de diffuser les productions culturelles. C'est au nom de cette valeur que l'on préserve notre patrimoine et que l'on offre des bourses à ceux qui étudient dans les arts. Combiné au relativisme culturel et à la liberté, la valeur art nous impose la liberté d'expression, faisant en sorte qu'un artiste sera financé indépendamment de la «qualité» ou de la «moralité» de ses œuvres.

Environnement: La conscience écologique est également une valeur importante. Cela fait en sorte que la pérennité des écosystèmes et de la biodiversité sont importants en soi sans que l'on ait à leur trouver une fonction pratique ou économique. Combinée à notre valeur science, cette valeur nous incite à écouter davantage les scientifiques plutôt que les économistes lorsqu'il est question de l'avenir de la planète. Également, la valeur environnement implique que les ressources naturelles du territoire de l'État appartiennent au peuple et que toute entreprise qui les exploite se doit de lui verser des redevances.

Ce ne sont pas tant les valeurs qui sont actuellement unanimes au Québec, mais plus celles que je désirerais qui le soient. Non seulement on aurait un guide pour savoir quelles demandes d'accommodements sont légitimes (seuls les traits culturels qui s'opposent aux valeurs communes sont indésirables, pour le reste on maximise la diversité), mais cela s'appliquerait pour à peu près tous les projets de société. Si ces valeurs communes étaient clairement affichées comme étant celles de l'État québécois, le fondamentalisme religieux, l'ultranationalisme et l'ultracapitalisme deviendraient tacitement des ennemis de notre société. On pourrait donc lutter plus ouvertement contre les grandes religions et les grosses firmes multinationales lorsqu'elles agissent contre les intérêts du peuple.

Afin de rendre plus attrayante et moins «froide» l'adhésion aux valeurs communes du Québec, on pourrait créer une terminologie, une iconographie et une série de slogans ou de maximes autour de ces valeurs communes pour en faire, non pas une religion ou une idéologie, mais simplement quelque chose de positif et d'inspirant. On pourrait même construire des monuments publics représentant allégoriquement l'union de nos sept valeurs communes autour d'une autre sculpture allégorique symbolisant le bonheur du peuple. J'ai même pensé à un logo (j'ai dû changer les noms de certaines valeurs pour que ça entre):

Imaginez-la plus belle que ça. On pourrait en sculpter un bas-relief en bois (avec sept essences d'ici) qu'on accrocherait au mur de l'assemblée nationale, àa la place du crucifix, pour montrer que ce sont ces valeurs et non les valeurs chrétiennes qui doivent servir de ligne directrice aux élus.

Je répète qu'il ne s'agirait pas d'une idéologie, puisque cela autoriserait et encouragerait la diversité d'opinions, de croyances et de pratiques. Ces valeurs ne feraient que baliser le tout, pour savoir quelles sont les dérives extrémistes que l'on ne tolérerait pas.

N.B. – Je rappelle que je n'ai aucun pouvoir. Donc que je n'en vois pas un paniquer à l'idée que j'impose à tous un «culte des sept valeurs communes». Tout ceci n'est qu'un exercice réflexif.

1 commentaire:

  1. Finalement la charte des valeurs est sorties... et est une déception, comme prévu. Non seulement on maintient le crucifix au-dessus du gouvernement, mais en plus la totalité de cette «charte» se résume à un code vestimentaire pour la fonction publique... absolument rien pour baliser les demandes d'accommodements (ce qui était la raison d'être initiale de cette charte).

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