dimanche 13 mai 2012

Politique linguistique

Au Québec, nous avons la loi 101 qui protège les droits des francophones d'avoir accès à des services dans leur langue. L'existence de cette loi vient du fait que le Québec (une société majoritairement francophone) fait partie du Canada (un État majoritairement anglophone). Les détracteurs de cette loi soutiennent généralement qu'elle est une entrave à la liberté de chacun d'utiliser la langue de son choix, et certains vont même jusqu'à affirmer que l'État ne devrait avoir aucune langue officielle.

J'ai déjà mentionné à plusieurs reprises mon opinion sur l'intervention de l'État dans la sphère culturelle. Pour moi, le gouvernement devrait adopter la même politique qu'il a avec la religion envers tous les autres éléments culturels: les laisser à la discrétion des citoyens, leur permettant de faire ce qu'ils veulent à ce niveau, dans la mesure où cela ne les pousse pas à porter préjudice à la liberté d'autrui. Donc, qu'est-ce que je pense de la politique linguistique du Québec? Est-ce réellement une loi liberticide ou est-ce au contraire nécessaire ou inévitable?

Dans les faits, tout État doit avoir une langue, qu'il lui donne ou non le qualificatif d'«officielle». Par exemple, il y a une langue dans laquelle sont écrites les lois, dans laquelle ont lieu les assemblées d'élus, dans laquelle le chef d'État fait ses discours, dans laquelle les services publiques sont offerts, etc. Conséquemment, lorsqu'un État n'a pas besoin de se doter d'une langue officielle et de définir explicitement sa politique linguistique, c'est tout simplement lorsqu'il est composé d'une écrasante majorité de locuteurs d'une même langue. Tout État multilingue va forcément avoir une politique linguistique.

Soit. Mais quelle genre de politique linguistique serait compatible avec l'idée de laisser aux citoyens un maximum de liberté dans leur choix de traits culturels? Moi je vois deux libertés linguistiques distinctes qui sont ici impliquées:
  • Le droit de parler la langue que l'on préfère (chez soi, avec des amis, ou avec quiconque la maîtrise) et d'enseigner cette langue à nos enfants;
  • Le droit d'avoir accès à tous les services dans une langue que l'on maîtrise (pas nécessairement celle qu'on préfère).

La politique linguistique doit trouver un compromis entre ce deuxième droit et la réalité, tout en évitant d'empiéter trop sur le premier droit. Ce n'est qu'au nom de ce droit que l'on peut se doter légitimement d'une langue commune qui sera celle que l'on pourra présumer que tout le monde maîtrise. Toutefois, pour moi la langue commune doit demeurer avant tout un droit pour le citoyen, donc n'être un devoir que lorsque nécessaire pour protéger ce droit. Les différentes mesures prises par la loi devraient donc tourner autour des deux objectifs suivants:
  • Maîtriser la langue officielle devrait nous permettre d'accéder à tous les services (travailler dans cette langue, se faire servir dans cette langue, étudier dans cette langue, lire l'affichage dans cette langue, etc.);
  • La langue officielle devrait être enseignée gratuitement à tous les citoyens (dans les écoles primaires et secondaires – comme langue maternelle ou seconde – et dans des cours d'immersion pour les nouveaux arrivants) de façon à ce que chacun en ait une bonne maîtrise;

Voilà comment je vois ça. Ce qui me semble pertinent, comme intervention étatique, est de faire en sorte que tous les citoyens aient accès à une même langue et puissent ainsi participer également à la société. Ce n'est donc pas une langue «maternelle» officielle. La langue parlée à la maison, pour moi, c'est quelque chose d'aussi personnelle que la religion ou l'orientation sexuelle. Ça n'a pas à être règlementé. Ainsi, peu importe la langue qu'une personne parle lorsqu'elle est chez elle, et peu importe la langue dans laquelle elle a été élevée ou dans laquelle elle choisit d'élever ses enfants, ce que l'on vise c'est qu'elle puisse avoir notre langue commune au moins comme langue seconde. Mais encore là, si elle choisit malgré tout de ne pas parler français, c'est son droit et elle ne fait de mal à personne tant qu'elle ne bafoue par le droit au français d'autrui (par exemple, si elle travaille au service à la clientèle, elle se doit de servir ses clients en français). Par contre, qu'elle ne chiale pas si elle n'arrive pas à se faire servir en anglais.

Un changement que j'aimerais toutefois voir dans notre politique linguistique serait que notre langue officielle y soit nommée le français québécois. Je trouve pertinent et nécessaire de mettre l'adjectif «québécois» dans le nom de notre langue juste pour souligner que c'est une académie locale (l'Office de la langue française du Québec) qui devrait avoir pour fonction de normatiser la langue, et qu'elle devrait accomplir cette tâche en se basant sur le parler local et non celui de Paris. On deviendrait donc plus souverain linguistiquement sans dépendre d'une culture étrangère. Néanmoins, je trouve aussi nécessaire que notre langue se nomme «le français québécois» (et pas seulement «le québécois»), afin d'exprimer qu'elle est actuellement suffisamment semblable aux autres dialectes de la francophonie pour qu'elle soit mutuellement compréhensible avec eux, donc que quelqu'un ayant appris le français ailleurs peut nous comprendre. Mais cela ne devrait aucunement nous «enchaîner» à ses autres dialectes francophones, l'académie devrait s'autoriser à faire évoluer ses normes pour suivre les transformations de la langue locale.

Autre amendement que j'apporterais à notre politique linguistique, serait par rapport aux autres langues. Je propose qu'en plus d'avoir une langue commune officielle, nous nous reconnaissions des langues minoritaires officielles qui bénéficieraient, elles aussi, de certains droits pour ses locuteurs. Cela se ferait au nom du même principe qui nous a fait élire le français comme langue commune du Québec: dans certaines régions ou communautés, il est moins évident que le français soit une langue que tout le monde maîtrise. J'inclurais dans cette nouvelle catégorie: l'anglais, les langues autochtones et peut-être aussi quelques langues de communautés culturelles populeuses.  Voici les droits que je leur reconnaîtrais:
  • Présence d'écoles primaires destinées aux locuteurs de ces langues ne maîtrisant pas suffisamment notre langue commune (parfois les cours sont dans cette langue, parfois ils sont fait pour les gens de ces langues mais le programme est en fait en français, mais dans les deux cas les enfants sont tenus d'y apprendre le français puis de faire leur secondaire dans les mêmes écoles que les francophones),
  • Les cours d'histoires dans ces écoles comportent un module qui met l'emphase sur l'histoire de cette communauté linguistique du Québec (son histoire au Québec, et non l'histoire détaillée de son pays d'origine),
  • Dans une subdivision territoriale de l'État (région, ville, quartier) où cette langue est majoritaire, elle peut y être la langue co-officielle (avec le français) et, donc, les services (affichage, service à la clientèle, etc.) doivent y être bilingues.
  • Si c'est une langue en danger d'extinction, on prend des mesures pour la revitaliser.

J'aimerais que l'on essaye davantage d'inclure les minorités linguistiques dans notre identité collective. Je pense que l'on va plus «accepter» le fait que les Québécois n'ont pas tous le français comme langue maternelle, si on le définit plus explicitement comme une langue commune (donc que doivent apprendre tous les Québécois) et que l'on donne le qualificatif d'«officielle» à des langues minoritaires (donc que peuvent avoir certains Québécois comme langue maternelle). On va plus respecter l'existence de plusieurs communautés linguistiques au Québec. Les anglophones et les autochtones ne seront plus considérés comme «moins Québécois» que les francophones, en autant qu'ils aient eux-mêmes une certaines maîtrise du français comme langue seconde.

Et pour aller plus loin dans cette idée, je pense que l'on devrait faire comme la Suisse et nous efforcer de traduire les produits culturels d'une langue à l'autre afin d'accentuer une sorte de sentiment d'unité culturelle transcendant la barrière des langues. On pourrait même faire exprès quelque fois de «traduire mal» (mettre des expressions calquées ou laisser les sacres en français) afin que, par exemple, l'anglais québécois devienne un dialecte distinct comportant beaucoup d'influences du français québécois (qui lui-même est distinct du français normatif). En plus, le fait de traduire les œuvres québécoises en anglais pour et par les Anglo-Québécois, leur permettra aussi d'accéder au marché anglophone hors Québec. Les Anglo-Québécois deviendraient donc un «pont culturel» entre le Québec et le reste de l'Amérique du Nord.

Mais une telle politique linguistique plus ouverte et favorable aux autres langues ne me semble réalisable que dans un Québec souverain. Tant que l'on demeure dans le Canada, il importe que l'on soit plus «agressif» envers l'anglais. On ne peut correctement défendre nos minorités linguistiques contre une assimilation par notre langue, lorsque notre langue elle-même est une minorité linguistique qui se défend contre une assimilation par le Canada anglais. À moins que le Canada lui-même n'adopte cette même politique linguistique, tout en donnant aux provinces la juridiction pour tout ce qui est en-dessous d'elles. Donc, tout ce qui relève directement du fédéral serait tenu d'être bilingue français-anglais, ce qui relève du provincial ou d'un pallier inférieur -- donc le municipal, les arrondissements, mais aussi les commerces, l'affichage, l'éducation, les services publics ou privés en général -- n'aurait qu'à se soucier de la ou des langue(s) officielle(s) de sa province mais serait libre de se gréer d'une seconde langue co-officielle au besoin, à condition d'investir aussi dans l'enseignement de cette dite langue.

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