lundi 27 décembre 2010

Se promener nu en public

Dans la plupart des États du monde, qu'ils soient progressistes ou conservateurs, il est illégal de se promener nu dans les lieux publics. Est-ce dû à l'influence d'une tradition religieuse trop pudique? Devrions-nous tolérer qu'une personne s'exhibe dans son plus simple appareil? Je vous propose que nous fassions l'exercice de réfléchir à la dimension éthique de cette question. Si, en elle-même, cette dernière ne présente que peu d'intérêt – étant donné qu'il n'y a, à ce que je sache, personne qui revendique sérieusement le droit de se promener nu en public – les fondements de cet interdit influencent très certainement d'autres aspects de nos lois et de nos vies.

Du point de vue purement utilitariste qui est le mien, il n'y a rien qui justifie que l'on prohibe la nudité dans les lieux publics. C'est une entrave inutile à la liberté individuelle puisque cela ne ferait de mal à personne. En ce qui a trait à la liberté civile, j'adhère presque systématiquement à la position que le philosophe utilitariste John Stuart Mill (1806-1873) défend dans De la liberté, c'est-à-dire que :
«Le seul but en vue duquel on puisse à juste titre recourir à la force à l'égard de tout membre d'une communauté civilisée, contre sa propre volonté, c'est de l'empêcher de faire du mal aux autres.»

Comme l'acte de se promener nu ne fait de mal à personne, l'individu devrait pouvoir le faire sans que l'on ne lui interdise ni qu'on ne manifeste de l'intolérance à son égard… Mais ce nudiste ne fait-il réellement de mal à personne? Dans ma réflexion sur la tolérance, j'ai soulevé le point que la personne intolérante souffrait, d'une certaine façon, des actions ou de la présence de la personne face à qui elle est intolérante. Par exemple, l'homophobe «souffre» lorsqu'il voit deux hommes s'embrasser. Ma conclusion était que l'on devait simplement se demander qui souffre le plus entre l'intolérant et l'intoléré, puis faire pencher nos lois vers la moindre souffrance. Ainsi, celui qui voudrait se promener nu mais à qui on l'interdit souffre-t-il vraiment de cette atteinte à sa liberté? La souffrance pour les passants qui seraient incommodés de le voir non vêtu sera-t-elle inférieure à la sienne? On peut, sans trop risquer de se tromper, affirmer qu'être nu en public est moins important pour lui qu'il ne l'est pour les passants de ne pas avoir à voir de nudistes lorsqu'ils circulent dans les lieux publics. On pourrait donc alors conclure qu'il est parfaitement légitime d'interdire aux gens de se promener nu hors de chez eux ou des camps réservés à cet effet.

Mais cette conclusion partait d'un certain postulat. J'ai pris pour acquis que l'individu désireux de se promener nu, ainsi que ceux qu'il risquait de croiser, étaient des individus typiques d'une culture que je connais. Culture dans laquelle il est mal vu et bizarre d'être nu en public. Dans ce contexte, il est évident que si quelqu'un veut se promener nu ce n'est que par défi ou pour provoquer, et il est aussi évident que ceux qui le verront seront choqués. Mais si les croyances personnelles de cet individu faisaient en sorte qu'il est, pour lui, vraiment très important d'être nu dans un lieu public? Et si les gens qu'il croisera sont tous des personnes exceptionnellement ouvertes d'esprit qui seront indifférentes face à sa nudité?

Par ailleurs, ce qui m'agace vraiment dans ce genre de situation c'est que l'État érige nos mœurs en lois, comme pour normatiser nos us et coutumes. Une telle ingérence va à contre-courant de ce que je prône, soit la séparation de l'État et de la tradition. J'en arrive à la même conclusion que dans ma réflexion sur le port du voile, c'est-à-dire que l'État n'a pas la légitimité pour légiférer sur notre tenu vestimentaire mais qu'il devrait autoriser les établissements à se doter eux-mêmes d'un code vestimentaire. L'important est que cette interdiction émane de quelque chose de moins solide que l'État et qui puisse plus facilement être mise à jour. À la limite, qu'il s'agisse d'une loi municipale me semblerait plus légitime qu'une loi fédérale ou provinciale.

J'admets que ce que je défends ici est plus une question de principes que de conséquences. Je ne désire pas personnellement me promener nu en public et je serais probablement très mal à l'aise de croiser un nudiste sur le trottoir. Mais je me dois d'être cohérent avec moi-même. Par ailleurs, s'il n'y avait aucune loi pour interdire la nudité, il n'y aurait pas nécessairement des dizaines de gens nus dans les lieux publics. Ce ne sont pas les lois qui font les mœurs. Le regard désapprobateur des passants est souvent une menace suffisante pour dissuader les gens d'agir de façon extravagante ou incommodante. Aucune loi ne m'interdit de me promener en tutu rose avec un ananas sur la tête en criant que je suis un idiot, mais je ne vais pas le faire pour autant.

12 commentaires:

  1. Salut Feel,

    Tu dis :
    "Par ailleurs, ce qui m'agace vraiment dans ce genre de situation c'est que l'État érige nos mœurs en lois, comme pour normatiser nos us et coutumes."

    Je suis entièrement d'accord avec ça.
    J'avais fait une remarque similaire au sujet des relations humaines. Mariage, divorce, pacs, concubinage, etc. : la plupart des relations sociales sont définies par la lois. Certaines sont même légalement interdites (polygamie) ou l'étaient encore récemment (relations homosexuelles).
    Bref, tout ça pour dire que tout comme toi, je trouve détestable que l'Etat transforme les coutumes en lois, posant ainsi un frein à l'évolution des moeurs. Si une Etat n'est pas capable de donner un statut légal à tout type de relation, autant qu'il s'abstienne de légiférer là dessus.

    Poulpeman

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  2. Je suis d'accord avec l'idée que tu avances. Il est certain qu'il y a encore beaucoup de problème avec les règlements qui touche plutôt les moeurs que la vie en commun.

    je noterais seulement que tu t'aventures sur une pente glissante dans ton avant dernier paragraphe. C'est hardi, donc intéressant, mais c'est aussi problématique et risqué. je ne dis pas que je suis d'accord ou pas, mais que c'est intéressant.

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  3. Je ne suis pas vraiment d'accord avec la phrase "Ce qui m'agace ...c'est que l'Etat transforme nos moeurs en lois.Les lois sont l'expression de la souveraineté nationale donc d'une majorité.A ce titre,elles ont une véritable légitimité politique.C'est d'ailleurs celle que vous préconisez très justement :la recherche de la souffrance la moindre.50% des voix plus une c'est un principe démocratique pour être élu au premier tour d'une élection .Nos représentants
    votent des lois qui sont le reflet d'une époque,de nos choix culturels du moment...mais que le plus grand nombre a choisi d'élire.
    Que toutes les lois nous conviennent est impossible.Le plus grand nombre peut également se tromper.Nous avons parfaitement le droit de dire et d'écrire nos désaccords.
    Un Etat démocratique autorisant la nudité ne me semble aucunement dangereux .
    En France ,j'étais d'accord avec l'interdiction du port de la burqa que j'assimile au port de l'étoile jaune.Une discrimination violant le principe de l'égalité voilant sous couvert de liberté vestimentaire des visées idéologiques remettant en cause la laïcité et les droits des femmes .Ces groupes intégristes très minoritai -
    res sont militants.Certains revendiquent la possibilité d'appliquer la charia lorsqu'ils seront devenus majoritaires en France.Nous pourrions alors renoncer à la liberté religieuse à la possibilité d'être athée .Quant à se promener nu ou à être homosexuel ce serait inimaginable.Je trouve qu'il est naïf d'ignorer
    les enjeux idéologiques derrière ce bout de tissu.
    Salutations cordiales
    Françoise

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  4. Ce qui est épineux dans tout ça, c'est la question des limites d'intervention de l'État, aussi démocratique soit-il. Plus précisément, je dirais qu'il est nécessaire de fixer des lois qui touchent directement le bien-être et la sécurité des individus. Mais celles qui reposent sur des valeurs, lesquelles peuvent varier considérablement d'un individu à l'autre, devraient-elles exister? Il est certain que la plupart des citoyens, dont moi, risquent d'être plus que troublés par le déambulement nudiste d'une personne en pleine rue. Mais au-delà du malaise, il faut se demander pourquoi on est troublé par cette nudité. C'est notre éducation qui entre alors en ligne de compte. Il faut se dire que même si on fait partie de cette majorité qui ne souhaite pas voir un nudiste en public, la minorité aussi petite soit-elle a aussi le droit d'afficher ses valeurs. Par contre, si ces valeurs encouragent le crime, la brutalité et j'en passe, on ne parle plus de la même chose. Il faut faire la différence entre les lois qui abrutissent, et celles qui protègent les citoyens. Vive les différences; le clonage, c'est pas trop mon truc.

    Loriane, ou du moins sa partie rationnelle, car celle qui ne l'est pas partirait à courir à la vue d'un nudiste en plein Montréal.

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  5. @Anonyme

    Vous avez de la chance, en France, d'avoir un système de vote à deux tours parce que ici nos élus accèdent au pouvoir avec environ 30% des voix; autant au provincial, qu'au fédéral ou au municipal. Donc non, ils ne représentent pas la majorité (au contraire, puisque environ 70% des électeurs ont voté contre eux).

    Par ailleurs, cela ne changerait rien pour le point que j'avance ici. Que l'on soit 50 contre 50 ou 99 contre 1, il y a une limite à l'ingérence qu'il est légitime d'avoir dans la vie des autres. L'imposition d'un code vestimentaire à l'échelle de l'État, outrepasserait à mes yeux cette limite.

    L'interdiction de la burqa pour cause que ce serait un symbole maléfique antifemme est, à mes yeux, un incroyable manque de respect envers la femme. C'est considérer que les femmes sont trop stupides pour faire leurs propres choix vestimentaires, comme si elles étaient des enfants, et que l'État devait faire leurs choix de vie à sa place. On a la même attitude face aux femmes qui choisissent de rester à la maison pour élever leurs enfants plutôt que d'aller sur le marché du travail. Lisez ma réflexion sur le port du voile:

    http://chezfeelozof.blogspot.com/2010/03/voile.html

    Autoriser le port du voile ne veut pas dire que l'on va aussi autoriser la charia. C'est un sophisme de la pente glissante.

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  6. Pour poursuivre ce débat très intéressant une
    petite histoire que je m'amusais à raconter il y a quelques mois:
    -Je sors dans la rue avec mon mari en laisse et avec une muselière.
    Plusieurs suites possibles.
    1-Je suis arrêtée par la police.je suis condamnée par le tribunal pour maltraitance.
    2-A l'arrivée de l'ambulance,je sors devant l'infirmier médusé un texte ancien (v millénaire avant J-c)et je me dis adepte de la religion des Canidéens.J'ouvre le Livre que j'ai opportunément dans mon sac et je lis ch 16 verset 4 "Hommes porteront laisse et muselière,pâtée recevront,Femmes travaillerez,Salut éternel à ceux qui respectent cette parole "
    L'infirmier me laisse libre.Liberté religieuse oblige.
    3-Avec mon portable,j'appelle la télé.Mon mari (à qui j'ai enlevé la muselière)dit qu'il est très heureux que cela lui évite de mordre les mollets des dames,qu'il est devenu plus humain.Il ne comprend pas les soucis faits à sa chère épouse.Il va porter plainte contre l'Etat français.
    4-J'arrive à convertir les hommes de ma ville qui en avaient assez de tant trimer.Je reçois un chèque d'une fondation de la police car la délinquance a baissé.Plus de soucis avec la justice car la loi est celle du texte sacré "La voix de son maître"
    5-Vous arrivez dans ma ville et vous voyez effrayé tous vos congénères en toutous muselés.
    Tout le monde commence à vous regarder de travers.Vous désirez une loi pour stopper ces débordements car vous vous sentez humilié dans votre dignité d'homme.A vos yeux,il ne s'agit pas d'ingérence de l'Etat mais de ce qui est humainement acceptable dans le domaine public.Dehors est un espace où bien vivre ensemble.On y respecte l'autre.L'encager,le museler est insupportable.Certaines de mes congénères sont bien sottes,je vous l'accorde.La liberté est préférable a une vie en cage contre quelques graines.La loi pour elles,est la clé pour ouvrir cette cage.Protéger les faibles (oui, les femmes peuvent l'être)est un beau projet législatif.
    Le "Il est interdit d'interdire" est une pente encore plus glissante qui finit par la loi du plus fort.
    Je tiens cependant à vous rassurer:en France on peut porter la burqa dans les lieux de culte (c'est la loi qui le dit)et chez soi tout comme on peut se balader nu dans sa maison ou sur une plage nudiste.Pas si mal au fond.
    Le religieux prime t-il sur l'Etat pour fixer la norme vestimentaire? L'obligation d'un code vestimentaire imposé par le religieux outrepasse à mes yeux une limite que la loi d'une société de droit et laïque peut interdire.Question de priorité.
    Salutations laïques et fraternelles.
    Françoise

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  7. Si un homme voulait se promener avec une muselière, je ne vois pas pourquoi on devrait lui interdire... Que son choix soit motivé par une religion, une déficience intellectuelle, un désir de se faire remarquer ou quelque autre irrationalité, ça n'a pas d'importance. Si c'est important pour lui de s'habiller d'une manière précise ou de s'adonner à une pratique quelconque, et que cette pratique ne fait de mal à personne, alors je ne vois pas pourquoi on lui interdirait.

    Et même si la majorité des gens décidait de s'accoutrer de ce vêtement ridicule (la muselière), je ne vois pas pourquoi l'État devrait intervenir. Si, toutefois, cette majorité de muselés décidaient de contraire les non-muselés à se museler, là il y aurait lieu pour l'État d'intervenir... mais ce serait quand même pour défendre la liberté de l'individu de se vêtir comme il veut. Donc pas pour contraindre les muselés à se démuseler contre leur gré, mais pour défendre le droit des non-muselés de demeurer non-muselés si c'est ce qu'ils désirent.

    Si une religion décide de fixer des lois ou un code vestimentaire, l'État peut rappeler au peuple qu'il ne reconnaît pas l'autorité des clergés (c'est la laïcité) et rappeler, du même coup, à la religion en question qu'elle n'a pas le droit d'utiliser des moyens coercitifs pour contraindre ses adeptes à respecter ses lois. Mais si quelqu'un décide quand même d'obéir aux lois arbitraires et absurdes de cette religion, je ne vois pas sur quoi on pourrait se baser pour le lui interdire... Lisez ma réflexion sur les accommodements raisonnables:

    http://chezfeelozof.blogspot.com/2009/07/les-limites-de-la-liberte-de-culte.html

    Par ailleurs, vouloir forcer quelqu'un à être libre est un non-sens. Être libre, c'est pouvoir faire ce que l'on veut... Si ce que je veux c'est porter un voile ou une muselière, c'est avec ce vêtement que je suis libre.

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  8. Là où vous voyez libre arbitre,je vois aliénation mentale.Là où vous ressentez liberticide,je ressens libération.Avons- nous sous les yeux le même monde? L'interdiction de contraindre n'est pas liberticide mais libératrice.Laissez aller serait de la non assistance à personne en danger.
    Croire que librement on puisse s'encager est une erreur d'appréciation.Face à l'arbitraire humain (coercition d'hommes,de religion),je choisi l'arbitrage démocratique de la loi .
    Cette loi nomme l'interdit au nom d'une culture,d'une histoire,de valeurs dont je me réclame.Elle ose affirmer ce qu'une nation juge illégal de faire à un individu sans porter gravement atteinte à sa dignité.
    Le courage d'interdire fut celui de mon
    pays.J'en suis particulièrement fière.
    Salutations, Françoise

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  9. Voilà notre principal point de désaccord, Françoise. Je suis contre le fait que la majorité puisse imposer sa culture, ses valeurs ou son mode de vie aux minorités. Je crois qu'une femme peut librement choisir de se voiler, tout comme je choisis librement de porter des vêtements plutôt que de me promener nu en public.

    Je suis content pour vous que vous soyez fière de votre histoire, de votre nation et de votre pays. Pour ma part, je vis dans un pays ayant une histoire plutôt inintéressante, je considère mon pays comme une simple entreprise et le concept de nation n'est que sa stratégie marketing.

    http://chezfeelozof.blogspot.com/2010/07/notre-histoire.html
    http://chezfeelozof.blogspot.com/2010/07/nationalisme.html
    http://chezfeelozof.blogspot.com/2009/04/la-secession.html

    Bref, à mes yeux le nationalisme que vous affiché est analogue à une foi religieuse.

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  10. Ce n'est pas parce que quelqu'un accepte quelque chose qu'il est entièrement d'accord. On peut faire sentir quelqu'un mal s'en l'obliger à faire ce qu'on attend de lui.

    L'état ne peut pas réagir dans tous les cas où il y aurait des abus sur les gens dans notre société. Il faudrait être solidaire, avoir un pouvoir au sein de notre société sans recourir nécessairement à la police ou à la politique. C'est un très grand danger que de donner un pouvoir aussi grand à un groupe. Car si ce groupe ''représente'' la population il n'empêche que son fonctionnement lui permet bien des actions que nous pourrions ne pas souhaiter individuellement.

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  11. Une dame promenant son compagnon en laisse par le sexe a été interpellée à Carcassonne ce mercredi.Elle comparaîtra le 8 avril devant le tribunal correctionnel.La scène s'est déroulée dans la principale rue commerçante de la ville.L'homme de 40 ans et sa compagne de 63 ans ont été stoppés par la police alors qu'ils entraient dans un magasin.Je tiens mes premiers adeptes mais je les trouve un peu trop zélés quand même...

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  12. En tant que nudien et donc militant du naturisme en liberté, les réflexions de Feel O'Zof me vont "droit au coeur".

    Oui l'état ou plus largement la société dépasse trop souvent ses prérogatives au point de porter atteinte à cette valeur fondamentale de la démocratie : la liberté !

    L'association APNEL (Association pour la Promotion du Naturisme En Liberté) oeuvre donc avec un certains succès pour que soient clarifiés dans tous les pays du monde les textes de loi, concernant le naturisme, afin que la simple nudité ne soit plus assimilée à de l'exhibition sexuelle.

    Plus d'information sur notre site :
    http://www.apnel.fr/
    ou pour nos amis anglophone sur wikipedia : http://en.wikipedia.org/wiki/APNEL

    Merci de m'avoir lu :-)

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