lundi 26 avril 2010

Le gouvernement commercial

J'ai réfléchi sur la place qu'occupaient les entreprises privées dans nos vies. J'ai constaté que:
  1. Les entreprises privées ont sur nous beaucoup plus de pouvoir et d'impact que les gouvernements élus;
  2. Le pouvoir du chef d'entreprise est plus souvent une monarchie héréditaire qu'une démocratie;
  3. La compétition entre les entreprises ne les pousse pas nécessairement à rechercher le bien-être optimal du consommateur mais simplement à le faire consommer;
Le propriétaire de mon bloc, mon employeur, mon épicier et mon banquier ont davantage de pouvoir sur moi que le premier ministre du Canada ou du Québec. Ma vie est davantage influencée par leurs décisions que par celles des ministres ou des députés. Il m'apparaît que, à l'instar du gouvernement monarchique (la reine et la gouverneure générale) dont le pouvoir n'est plus que symbolique par rapport à celui du gouvernement démocratique (provincial et fédéral) qui lui est officiellement suborné, ce même gouvernement a un pouvoir qui s'efface de plus en plus de nos vies par rapport à celui des entreprises privées… que l'on pourrait qualifier de «gouvernement commercial».*

Ce qu'il y a de préoccupant c'est que ces entreprises ne sont pas des instances démocratiques. Les chefs d'entreprises ne sont pas élus par leurs employés ou par leurs clients. Ils peuvent avoir été choisi en fonction de leurs compétences ou parce qu'ils sont les rejetons de l'ancien chef. L'accroissement du pouvoir commercial m'apparaît donc comme un retour du féodalisme.

Toutefois, remplacer une démocratie par une féodalité ne serait pas nécessairement un mal en soi si l'on était certain que ce nouveau gouvernement serait davantage bienveillant et éclairé que son prédécesseur. Ou, du moins, qu'il réponde mieux aux besoins du peuple. On pourrait croire que la compétition entre les entreprises aurait amené le bien-être du consommateur. Qu'en essayant de s'attirer de la clientèle, elles soient contraintes de chercher à répondre le mieux possibles aux attentes du client afin qu'il achète leurs produits. Ainsi, pour paraphraser l'économiste Adam Smith (1723-1790), la concurrence est supposée apporter des produits de qualité au plus bas prix possible.

Mais si leur but n'est pas l'intérêt du consommateur lui-même, les entreprises peuvent peut-être essayer de trouver d'autres façons d'accroître leurs ventes. Par exemple, elles pourront réduire la qualité des matériaux employés ce qui leur permettra à la fois de réduire leur prix et de s'assurer une demande future (lorsque le produit sera brisé). Elles utiliseront de la publicité fallacieuse pour créer un faux besoin ou induire une surévaluation du produit chez le consommateur. Les entreprises pourront même concevoir des produits nuisibles pour la santé du consommateur et réussiront à les vendre s'ils sont addictifs (ex.: cigarettes, boissons énergisantes) ou très facilement accessibles (ex.: malbouffe). Bref, les intérêts réels du consommateur ne sont pas l'objectif visé ni l'objectif atteint.

Également, cette concurrence ne focalisera que sur le produit et sa consommation mais sans se soucier de variables extérieures pouvant être importantes. Par exemple, un produit respectant davantage l'environnement que son compétiteur, ou versant un salaire plus équitable à son producteur, ne sera pas nécessairement plus vendu si cela implique que son prix est trop élevé par rapport à un produit équivalent qui serait polluant et non éthique. J'ajouterais même que, dans ce cas-ci, c'est justement la concurrence qui pousse les entreprises à baisser leurs prix à tout prix et donc à ne pas se soucier de l'environnement ou des droits de la personne. La somme d'argent que le consommateur est prêt à payer de plus pour que son produit soit éthique ou écologique est ridiculement faible.

Ce que j'ai vu comme solution à cette problématique situation, serait que toutes les entreprises soient des coopératives. À la différence des compagnies, les coopératives sont des instances démocratiques dont la raison d'être est de répondre à un besoin précis de ses clients. Si les entreprises qui contrôlent actuellement nos vies avaient été, dès le départ, des coopératives, le fait qu'elles prennent ainsi de plus en plus de pouvoir ne serait pas du tout préoccupant. Au contraire, étant donné que leur dirigeant serait élu démocratiquement et que leur mandat serait de répondre à un besoin (et non d'engranger des profits), la liberté de commerce aurait réellement mené à l'utopie d'Adam Smith.

J'irais même jusqu'à dire que, dans une telle situation, le gouvernement lui-même pourrait se substituer à des coopératives. Si chaque ministère était remplacé par une coopératives ayant le monopole de sa juridiction, il me semble que l'État serait gérer plus efficacement qu'il ne l'est actuellement. Chaque ministre étant élu indépendamment pour sa fonction spécifique, sa compétence serait donc davantage surveillée qu'en élisant un parti tout en bloc dont les membres se choisissent ensuite un ministère presque au hasard.

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*Et c'est sans parlé du fait que:
  1. Le nombre de votes qu'a un parti politique est directement proportionnel à la quantité d'argent qu'il met dans sa campagne électorale;
  2. Le financement des campagnes électorales se fait grâce aux dons de riches particuliers;
Ce qui pourrait nous mener à penser que, en quelque part, ce sont les entreprises qui décident quel parti sera au pouvoir. Un parti qui prendrait une décision allant à l'encontre des intérêts des grosses corporations perdra de nombreuses subventions au détriment de son adversaire, et perdra vraisemblablement l'élection suivante. Hiérarchiquement, le gouvernements fédéral et provincial sont donc en dessous du gouvernement commercial.

11 commentaires:

  1. Je pense que vous mettez le doigt sur le gros problème du capitalisme et du libéralisme économique.

    Aujourd'hui la plupart des problèmes de société sont dus au fait que la sphère marchande s'étend à tous les domaines de la vie en société et que la raison économique y prime sur la raison publique (D'ailleurs le philosophe André Gorz, avait pas mal réfléchit à ces questions).

    Par exemple : la bêtise des programmes télévisés, le formatage des contenus culturels, l'obésité, le consumérisme, le manque de moyen de la recherche scientifique fondamentale, la gestion à court terme, les problèmes d'environnements, les inégalités économiques, les délocalisations, le marketing électoraliste...

    A mon avis tout ces problèmes sont plus ou moins imputables à l'existence de pouvoirs économiques.

    Etant donné que le pouvoir des dirigeant des multinationales s'exerce à travers la propriété privé (en l'occurrence celle du capital des entreprises), est-ce qu'il ne faudrait pas, pour résoudre ces problèmes, repenser la notion de propriété ? Par exemple : est-il normal de s'enrichir de ses propriétés sans ne fournir aucun travail ?

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  2. "Ma vie est davantage influencée par leurs décisions que par celles des ministres ou des députés."

    Ça dépend si tu considères qu'une "non-décision" est aussi une décision. Théoriquement, ce sont les gouvernements qui ont décidé (en ne faisant rien) d'être influencés par le commerce. Autrement dit, ils ont influencé ta vie davantage considérant que ce sont eux qui ont décidé que les commerçants allaient influencé ta vie. Bref, c'est se questionner sur la notion de responsabilité (et je pense que c'est important parce que c'est questionner le rôle de la démocratie dans notre société).

    Au-delà de ça, je ne crois pas à l'idée de coopératives ministérielles parce qu'il faut quelqu'un pour décider de l'existence des ministères eux-mêmes. Autrement, la bureaucratie ne diminuerait probablement pas (aucune coopérative ne voterait en faveur de sa dissolution... peut-être à la rigueur sa fusion).

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  3. Q: «est-il normal de s'enrichir de ses propriétés sans ne fournir aucun travail ?»

    C'est une situation que je trouve également aberrante. Surtout quand on pense au fait que la propriété d'un individu n'est elle-même pas toujours le fruit de son propre travail. Ainsi, s'il est normal que le vieil homme qui a travaillé toute sa vie pour construire une entreprise, puisse financer sa retraite grâce aux revenus de cette même entreprise même s'il n'y travaille plus, il me semble anormal que le fils de ce vieil homme, qui héritera de l'entreprise, puisse également bénéficier toute sa vie d'un tel revenu sans jamais avoir à travailler.

    Encore une fois, le principe des coopératives m'apparaît comme une solution : comme l'entreprise appartient à tous ses employés et à tous ses clients, il n'y a personne pour cumuler à lui tout seul l'ensemble des profits sans avoir à travailler.

    Simon: «Théoriquement, ce sont les gouvernements qui ont décidé (en ne faisant rien) d'être influencés par le commerce.»

    On peut dire qu'ils ont pris des décisions dans le passé qui menèrent à l'état actuel des choses, mais je pense qu'ils n'ont présentement plus le pouvoir pour renverser la machine. On pourrait dire la même chose de notre monarchie. Techniquement, c'est la gouverneure générale qui fait les lois; une loi n'entre en vigueur que lorsqu'elle donne son approbation. On conserve ce gouvernement symbolique parce qu'il n'interfère pas trop avec son subalterne. Mais si la vice-reine choisissait de refuser d'approuver une loi votée par la chambre des communes, que se passerait-il? L'accepterait-on? J'en doute. Même chose pour les compagnies en ce moment, comme j'ai dis plus haut: «Un parti qui prendrait une décision allant à l'encontre des intérêts des grosses corporations perdra de nombreuses subventions au détriment de son adversaire, et perdra vraisemblablement l'élection suivante.»

    Simon : «je ne crois pas à l'idée de coopératives ministérielles parce qu'il faut quelqu'un pour décider de l'existence des ministères eux-mêmes.»

    Oui, je me disais qu'il y aurait quand même un gouvernement central au-dessus de tout ça, qui justement créerait ces coopératives et passerait des lois pour faciliter leur travail.

    Sinon, autre idée : les ministères sont des entreprises mais le gouvernement central est une autre coopérative qui possède l'ensemble du territoire du pays et qui accorde, ou non, le droit aux autres entreprises d'opérer sur son territoire. Être citoyen équivaudrait à être membre de cette coopérative. Ainsi, la coopérative centrale pourrait imposer sa volonté aux autres coopératives.

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  4. En fait on pourrait différencier différents types de propriété :

    - ce qui nous appartient parce que c'est le fruit de notre travail. Il est normal de pourvoir en tirer profit.

    - ce qui nous appartient parce qu'on l'a acheté. Ce type de propriété devrait uniquement être destiné à la consommation et ne devrait pas permettre l'enrichissement.

    Ainsi on aurait une économie "éthique"...

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  5. Je pense également qu'il sera éventuellement nécessaire de redéfinir la façon dont l'on conçoit la propriété.

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  6. J'ai essayé d'approfondir la notion de propriété dans un nouveau billet : http://ungraindesable.blogspot.com/2010/05/le-probleme-du-capitalisme.html

    J'y reprend l'idée du féodalisme dont tu parles ici, que je trouve très juste (avec un lien vers ce billet...)

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  7. Très intéressant ce billet. J'aime bien cette idée de coopérative et je suis parfaitement d'accord avec toi. Ce serait une manière très intéressante de réglé cette forme de féodalisme qui résiste encore à la modernité. Mais, je ne suis pas certain que ce serait un moyen très efficace en matière de gouvernement... Je ne dis pas que ce serait totalement indésirable, mais ça me semble un peu plus difficile à faire. Il faudrait selon moi un peu plus de démocratie, de structure de partie etc.... que dans une structure coopérative normale. Mais si c'est bien fait, je ne dis pas que ça ne pourrait pas avoir de nombreux avantages.

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  8. Je ne crois pas qu'on puisse utiliser une forme d'entreprise pour remplacer le gouvernement actuel. Je comprend ton concept, mais je ne crois pas qu'on puisse nommé cela "coopérative". Le concept de base du gouvernement actuel est très semblable à une coopérative.

    -Chaque citoyen est un "membre"
    -Chacun à le droit à 1 vote
    -Des personnes sont élus pour faire partit du conseil d'administration (assemblé nationale).

    C'est sur qu'ensuite les ministères sont établi un peut n'importe comment. Par contre, il ne faut pas oublier une chose. La seule personne qui change dans un ministère après chaque élection... c'est le ministre... tout les fonctionnaires qui sont en arrière ne change pas.

    Desjardins est une coopérative et ça n'empêche pas qu'ils essaient de faire des profits...cette fois au lieu d'avoir un seul propriétaire riche, c'est l'administration qui se donne des gros salaires...

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  9. @Guillaume

    Il me semblait pourtant que c'est à toi que j'avais volé cette idée de remplacer le gouvernement par des coopératives.

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  10. Salut Feel,

    En faisant quelques recherches sur l'auto-gestion, j'ai trouvé des informations concernant des entreprises à fonctionnement démocratique qui ressemble les coopératives dont tu parles dans ton article :
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Corporation_Mondragon
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Soci%C3%A9t%C3%A9_coop%C3%A9rative_et_participative

    Je me suis dit que ça pouvait t'intéresser.

    Poulpeman

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  11. Merci Poulpeman,

    L'exemple de Mondragon ressemble particulièrement à ce que j'avais en tête ici. Soit un ensemble d'entreprises coopératives ayant chacune une juridiction précise mais collaborant ensemble. C'est intéressant d'avoir un exemple démontrant que c'est un système qui peut fonctionner.

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