dimanche 8 novembre 2009

Les deux scepticismes

Il existe deux mouvements distincts portant le label de «scepticisme».

Le premier, que l'on appelle communément le scepticisme philosophique, a ses origines dans la Grèce antique. Un de ces plus célèbres partisans est Pyrrhon d'Élis (360-265 av. notre ère). Dans ses formes les plus extrêmes, le scepticisme philosophique nie toute possibilité pour l'humain d'accéder réellement à une connaissance quelconque. En conséquence, cela met toutes les hypothèses à égalité puisque l'on ne peut rien prendre pour acquis et qu'il n'y a rien de plus sûr que quoique ce soit d'autre. Notre niveau de certitude serait à zéro à propos de tout sujet et de toute opinion. Par exemple, on ne pourrait pas plus affirmer que les nuages sont faits de vapeur d'eau que de ouate ou de patates pilées, puisqu'aucune connaissance n'est possible. En pratique, cela ne nous apporte rien puisque si nous n'avons plus aucun critère pour discriminer le faux du vrai et que l'on vît réellement en faisant comme si tout était incertain, on stagne dans une inertie perpétuelle; chaque alternative étant aussi incertaine que tout autre.

Un autre mouvement, le scepticisme scientifique nous permet de sortir de cette impasse en affirmant que même si tout est incertain, il y a des choses qui sont plus certaines que d'autres. Par exemple, si à chaque fois que je mets ma main dans le feu je ressens une douleur, je puis prédire qu'il en sera de même les prochaines fois où je répéterai l'expérience et donc considérer comme «réelle» l'affirmation «le feu ça fait mal». Si tous les corbeaux que je vois sont noirs, je puis établir par induction que tous les corbeaux sont noirs et prendre ce fait pour acquis.

Toutefois le scepticisme scientifique demeure un scepticisme. Ainsi, tout ce qu'il considère comme vrai peut être remis en question. Il suffit d'un seul corbeau blanc pour briser la loi «tous les corbeaux sont noirs». Mais, affirmer gratuitement que cette loi est fausse sans avoir le moindre corbeau blanc pour la contredire et sans tenir compte des millions de corbeaux noirs déjà observés, est une attitude qui va directement à l'encontre du scepticisme scientifique.

Voir aussi : Qu'est-ce que le réel?

4 commentaires:

  1. J'aime beaucoup votre blog, mais je ne peux accepter de resumer la philosophie grec aux preceptes de Phyrron.
    Que dire de Ciceron quand il dit "...tandis que nous (les sages) tenons pour probables bien des choses que nous admettons aisement sans pouvoir les affimer; nous sommes plus libres et affranchis, gardant intacte notre faculte de juger, sans etre forcés par aucune necessité de soutenir tout ce qui a été écrit d'avance, a la maniere d'un ordre." ( Les Tusculanes)
    On peut ici penser, selon ce qu'ecrit Ciceron, que le sage, debarrasser des dogmes, est malgre tout apte a prendre position sur des differents sujets.
    De plus, votre methode pour etablir l'eternelle contuinite de la couleur du corbeau est biasiee, en effet elle repose que sur le fait observable de votre propre vision oculaire, depuis quelques decennies, Observer n'est plus la primaute de nos cheres prunelles mais d'object tels que telescope, microscopes...soit, il est possible d'affirmer qu'il est possible qu'une singularite chez le corbeau puisse apparaitre au vue des ses genes.

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  2. Je m'en tenais à la couleur du corbeau. La couleur demeure, par définition, une donnée observable par l'oeil. Mais ce n'est qu'un exemple. Le point c'est simplement que si l'on observe systématiquement la même donnée suite à la même expérience, on peut l'ériger en loi par induction, tout en demeurant prêt à déconstruire cette loi si elle est démontrée fausse par la suite.

    Pour ce qui est du scepticisme philosophique et du philosophe romain Cicéron, il est vrai que je ne suis pas allé dans les détails. En fait j'ai volontairement "biaisé" les choses en ne parlant que de Pyrrhon qui défendait un scepticisme indéfendable pour faire contraste avec le scepticisme scientifique moderne. Mon but était de présenter les deux extrêmes. Dans les faits, le courant sceptique ne se réduit pas à ces deux alternatives, chaque penseur sceptique avait le sien. Et beaucoup de philosophes sceptiques de l'Antiquité se rapprochaient davantage du scepticisme scientifique que du scepticisme pyrrhonien.

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  3. Bonjour,

    C'est amusant - et fort plaisant - de voir la distinction entre "scepticisme philosophique" et "scepticisme scientifique" apparaitre ici. C'est une distinction que j'avais introduite sur wikipédia en 2006, parce que je voulais qu'il y ai une page consacrée au scepticisme philosophique et une autre au mouvement sceptique contemporain. Avant, les gens avaient mélangé les deux sur une seule page, mais évidemment, c'était tout sauf clair.

    A l'époque, j'avais décidé d'utiliser le terme "scepticisme philosophique". Après coup, je me suis rendu compte que sur le wikipédia anglo-saxon ils avaient eux opté pour le terme "scepticisme rationnel". Enfin bon, j'aime bien le nom "scepticisme scientifique" (qui est d'ailleurs le nom de mon blog).

    Evidemment, comme tu le dis bien, le scepticisme scientifique est une variante du scepticisme philosophique. C'est juste que j'en avais ras-le-bol que les gens me disent: tu n'es pas un vrai sceptique parce que tu ne doutes pas de tout. C'est le style de doxa vraiment agaçante. Même les sceptiques de l'antiquité grecque ne doutait pas absolument de tout! Il y avait des variations dans la doctrine sceptique. Le terme sceptique est resté pour désigner les gens qui défendent l'utilisation de la méthode scientifique pour tendre vers la vérité comme horizon parce que les sceptiques de l'antiquité "doutaient" aussi de l'existence des dieux, ou tout du moins de leur importance (à la manière typique des philosophes grecques: même si les dieux existent, ils font partie du reste des phénomènes naturels et ce faisant ils ne sont pas si important que ça finalement), ce qui au moment des Lumières a été repris par les athées - qui se désignaient alors comme des "sceptiques" (aussi bien de la religion, que du surnaturel et des superstitions).

    Dans cet article:

    diCarlo, C. (2009) "The Roots of Skepticism", Skeptical Inquirer, Volume 33.3, May / June 2009.

    Christopher diCarlo, qui est un spécialiste du scepticisme antique, argumente que le mouvement sceptique contemporain se situe bien dans la continuation du scepticisme antique.

    Sceptiquement vôtre,

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